Les personnages
Pour un auteur débutant, il est difficile de gérer un nombre important de personnages.
Bonjour XX,
Je vous remercie pour votre envoi et pour la confiance dont il témoigne.
Dans mon idéal, la publication d’un texte commence par une histoire d’amour entre
l’éditeur qui le sélectionne et le texte lui-même. L’alchimie n’a pas fonctionné
entre votre texte et moi, mais cela ne veut nullement dire qu’il est dépourvu
de qualités, bien au contraire !
- Votre écriture est d’un niveau remarquable. Vous faites preuve d’une superbe maîtrise dont je vous félicite. C’est d’autant plus épatant que vous êtes encore très jeune. Franchement, je vous tire mon chapeau !
- La présentation est également tout à fait correcte. Attention tout de même à l’absence de pages de présentation !
- Lisez ou relisez nos conseils et vous verrez ce qu’il manque (la pagination, par exemple). Le niveau d’orthographe est satisfaisant, pour ce que j’ai pu en voir (je ne suis pas correcteur et j’ai relevé quelques erreurs, mais rien qui plombe réellement la lecture. Vous pouvez sans doute faire encore mieux à ce sujet ; faites-vous aider). Le niveau de vocabulaire me semble parfait : ni trop, ni trop peu.
- L’intrigue est très élaborée (trop, peut-être, mais j’y reviendrai) et son déroulé et bien maîtrisé.
- Votre imagination est fertile, les situations sont variées et inventives.
Alors, qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ? Pourquoi ne suis-je pas tombé amoureux
de votre texte ? Je vais tenter de l’expliquer. Gardez bien en tête que vous
lisez un point de vue subjectif, et que les propos qui suivent ne représentent
absolument pas des vérités !
- "Je vais écrire un livre de plus", c’est l’intention que je devine chez vous. Mais pour quoi faire ? Qu’est-ce que ce "livre de plus" apporte à la littérature ? Votre texte manque d’engagement, d’ambition, de sincérité, de passion… Je n’ai rien contre les textes qui se consacrent uniquement à distraire, j’en écris moi-même. Mais si c’est la distraction que vous visez, il faut bien plus d’intensité que votre texte n’en propose. Placer votre histoire dans un chalet de montagne était déjà un choix très étrange : comment toucher le lecteur avec un choix si décalé ? Mais c’est le flou des personnages qui me gêne le plus. Ils ne sont pas investis. Et ils sont bien trop nombreux pour un premier roman ! Maîtriser ses personnages et l’un des défis les plus complexes de la littérature. Comment en venir à bout avec autant de personnages ? Vos dialogues ne "sonnent" pas juste parce que vous ne cernez par suffisamment vos locuteurs. Il ne s’agit pas de leur « » prêter » vie, mais de leur « donner » vie. Quelle vie ? La vôtre, bien sûr ! Mais qu’ont ces personnages de commun avec vous ? Vous n’êtes pas parvenu à les investir avec générosité. La tâche était bien trop ardue sur un tel casting.
- Votre texte est trop intelligent. Ce que le lecteur attend de vous, c’est que vous lui donniez votre cœur. Un peu de matière grise ne fait pas de mal, mais l’équilibre de votre texte n’est pas le bon. Vous auriez obtenu un texte bien plus prenant en vous contentant d’une histoire simple qui ait l’air vraie, plutôt qu’en cherchant à construire une histoire tarabiscotée qui semble au final tirée par les cheveux.
- Je reviens vers vos personnages pour vous porter un coup supplémentaire concernant leur traitement (et j’ai bien conscience de ce qu’il y a de cruel dans ce que je vous inflige, mille pardons pour ça). Je n’ai pas eu le sentiment que vous aimiez vraiment vos personnages. Vous gardez en permanence une sorte de recul, de prudence, dans la façon dont vous en parlez. Si vous voulez que le lecteur les aime (et il n’accrochera pas à votre texte sans ça) il vous que vous les aimiez vous-même de toute votre âme et de toutes vos tripes. Il faut les filmer de près, il faut qu’on voie leurs grains de peau et que l’on sente leurs odeurs. Il faut qu’ils nous attendrissent d’une façon ou d’une autre, ou au moins qu’ils éveillent notre pitié ou notre compassion. Même vos enfants ne m’ont pas fait craquer ! Prenez votre première page : pas un seul mot qui permette de se faire une image de ces deux "choses" que vous appelez "les enfants". Pas un seul ! C’est tout de même extraordinaire ! Je suis le premier à dire qu’il faut savoir jouer avec l’imagination du lecteur… mais vous lui en demandez vraiment trop ! En tant qu’auteur, vous n’avez pas le droit de vous protéger de cette façon. Allez chercher votre amour là où il se cache et jetez le tout entier sur le papier ! Si vos propres scènes ne vous font pas rire, pleurer et fondre de tendresse, c’est qu’elles ne sont pas bonnes. Gardez ça en tête. Vous ne pouvez pas vous "économiser". Il faut vous jeter toute entier dans votre histoire, sans aucune pudeur, sans aucune prudence. C’est le seul moyen d’atteindre le vrai.
Je vais m’arrêter sur ces lignes, faute de temps. Je crois de toute façon avoir
dit l’essentiel. Encore pardon pour la rudesse de mes propos.
Je vais tout de même conclure par les bénéfices que ce texte vous aura immanquablement
apportés :
- Vous vous êtes démontré que vous étiez capable d’écrire un livre. Un très grand
bravo pour votre ténacité et votre courage. La plupart des apprentis auteurs renoncent
avant la fin. Cette victoire est immense. Car le premier livre est comme le premier
pas : c’est le plus difficile. Vous pouvez désormais contempler votre travail
avec recul et cela va vous permettre de comprendre un million de choses qui ne
vous auraient pas été accessibles autrement.
- J’ai le sentiment que vous écrivez vite et assez facilement (même si le début
de cet ouvrage, comme pour tout auteur débutant, a sans doute été laborieux).
Vous allez donc écrire d’autres livres (je vous y encourage vivement). Ils seront
immanquablement meilleurs que celui-là, surtout si vous y mettez plus de cœur et moins de tête.
- De toute façon, ce livre n’a rien de "mauvais". Les qualités que je lui attribue
au début de ce mail sont indiscutables. Il me semble seulement qu’il a été écrit
sur de mauvaises bases. Mais il s’agit là de mon point de vue, pas d’une vérité.
Vous avez de quoi être fier de vous. Même si ce texte n’a pas emporté mon enthousiasme,
il "tient la route" par de nombreux aspects. Soumettez-le à d’autres critiques,
autant que vous en trouverez. Encouragez-les à vous parler avec franchise et faites
en sorte de savoir les entendre. C’est la seule façon de vous forger une opinion
solide de ce qu’il vaut vraiment.
Je vous souhaite une brillante réussite.
Avec toute mon admiration.
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