Écrire pour soi ?
Quelle est la place que notre futur lecteur doit occuper dans nos préoccupations d'écrivain ?
Sommaire
de cette page :
Un vieux malentendu
« Faut-il
écrire pour soi pour les autres » est un vieux débat qui véhicule beaucoup
de malentendus. Essayons d’y voir clair :
- Qu’il s’agisse d’idées (dans le cadre d’un essai) ou d’émotions (dans le cadre d’un roman), le lecteur exige du « vrai ». La sincérité de l’auteur est l’une des clés essentielles de la réussite de sa démarche.
- On ne connaît jamais que soi-même. Ou du moins, on ne connaît du monde que l’image qui s’en imprime en nous. Être sincère, c’est d’abord être conscient qu’on ne parle jamais que de soi ou de la vision inévitablement personnelle que l’on a du monde.
- Le livre est un cadeau que l’auteur offre à ses lecteurs. Or, un don n’en est pas un s’il n’est pas désintéressé.
La synthèse de ces trois propositions donne : écrire, c’est s’offrir généreusement à l’autre, sans retenue, sans fausse pudeur, et en se demandant comment être intelligible. Le fait d’ignorer ou de négliger cette vision des choses amène à au moins deux sortes d’excès inverses :
- L’écrit nombriliste
- L’escroquerie littéraire
Yves Meynard
L’auteur qui prétend ne pas écrire pour lui, mais seulement pour les autres se place au niveau d’un surhomme. Nous écrivons d’abord pour nous, et c’est sans doute une bonne chose que d’en être conscient si l’on cherche à être sincère. La question est ensuite de savoir si l’on écrit surtout pour nous.
Quelle est notre intention ?
Car si l’on accepte l’idée que le « livre est un cadeau » que l’on offre aux lecteurs, alors, c’est l’intention qui compte, et l’écrivain qui travaille essentiellement pour son intérêt personnel (qu’il soit financier ou de toute autre nature) est un escroc. Qu’il le soit consciemment ou non (qu’il en soit seulement responsable ou franchement coupable) ne change rien à l’affaire. Et le fait qu’il existe des escrocs brillants et pleins de charme, dans les rets desquels nous courons nous jeter avec délice (mais sans être dupe), n’y change rien non plus.
L’écrit nombriliste
Si vous tenez vraiment à raconter votre vie, faites-le dans un bar, très tard dans la nuit, si le barman est assez aimable pour vous écouter.
Et n’oubliez pas de consommer pour le payer de sa peine. »
Stephen King
Ce type d’écriture se traduit par des longueurs incompréhensibles aux yeux du lecteur.
L’auteur s’immerge dans des états d’âme qu’il lui faut explorer de bout en bout afin de les laisser faire leur travail en lui. Très bien. Mais chaque état d’âme est plus ou moins propre à la personne qui le fait naître et ne représente pas le même intérêt pour autrui. Ce qui a une charge émotive pour vous n’en a pas forcément pour le lecteur.
Par ailleurs, pour que le partage présente un intérêt, il ne suffit pas de décrire, il faut – dans l’idéal – avoir dépassé votre état d’âme, il faut être capable de le regarder avec recul.
Le partage, l’écriture, pose et impose la question du rythme. Elle oblige l’écrivain à développer une schizophrénie profonde, seule capable de lui permettre d’être à la fois totalement immergé dans son état d’âme, et en même temps extérieur à celui-ci. Il faut sans cesse juger de l’intérêt pour le lecteur lambda et du moment où il se détournera sans doute de ce que l’on décrit. Ce recul est extrêmement difficile à atteindre dans le cadre d’un texte plus ou moins autobiographique. Dans le même temps, ce type de sujet permet une sincérité qui est essentielle pour aboutir à un texte passionnant. Il n’est donc pas simple d’écrire.
C’est l’intention qui compte
« Beaucoup de romanciers, surtout en France, font du joli pour le joli. Ils enfilent les phrases tarabiscotées avec des mots de vocabulaire qu’il faut chercher dans le dictionnaire comme on enfile des perles pour faire un collier. Cela fait juste un tas de jolies phrases. Pas un livre. »
Bernard Werber
Lorsqu’un
écrit est parti d’une « mauvaise » intention, c’est-à-dire lorsqu’il a été conçu surtout
pour l’auteur, que ce soit par nombrilisme ou dans un esprit d’escroquerie, il est
construit sur de mauvaises bases. Dès lors, il est presque impossible d’en faire
un « livre » au vrai sens du terme à moins de le soumettre à une réécrire
très profonde. Si profonde, qu’en entreprendre la démarche n’a le plus souvent
aucun sens. Quand les fondations d’une construction posent un problème, faut-il
tenter de « réparer » ou faut-il se résoudre à reconstruire ?
La question n’est pas de savoir s’il faut écrire pour soi ou
pour les autres. Il s’agit d’écrire pour soi (parce que ça n’a pas de sens autrement) et
pour les autres.
Il ne s’agit pas de vouloir plaire, impressionner, surprendre, épater ni même faire plaisir, si nous en attendons un bénéfice personnel de quelque sorte qu’il soit. Car nous écririons alors pour nous-mêmes en prétendant écrire pour les autres. Voilà l’escroquerie littéraire.
Il s’agit d’écrire en éprouvant un plaisir si vif ou en répondant à un besoin si impérieux que nous n’ayons plus besoin d’en attendre la moindre contrepartie en provenance des lecteurs et dans le même temps d’avoir le désir d’offrir, sous la meilleure forme possible, le produit de son besoin/plaisir à ses lecteurs. D’offrir, pas de vendre.
Pensez à un livre que vous avez adoré et qui aura peut-être bouleversé votre vie. Serait-il juste de prétendre que la dizaine d’euros qu’il vous a coûtés correspondent à la valeur qu’il a eue pour vous ? L’émotion a-t-elle un prix ?
Lorsque nous parlons d’un « écrivain », au sens plein et noble du terme, nous parlons de quelqu’un qui nous a bouleversés et influencés.
Parmi ceux-là, combien de nombrilistes invétérés ? Combien cherchaient surtout
à gagner de l’argent ou de la reconnaissance ?
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