Les bases
Qu'est-ce qu'une « bonne » histoire, ou un « bon » livre et comment bien faire l'amour ?
Sommaire
de cette page :
Le fond
La première de toutes les règles, celle qu’on ne peut pas contourner, c’est qu’il faut avoir une histoire à raconter, même quand on rédige un essai ou un livre-témoignage.- Qu’est-ce que j’ai à dire, qu’est-ce qui me préoccupe ou qui m’émeut ?
- Pourquoi ça me préoccupe ?
- Quel sens ça a pour moi ?
- C’est quoi, la substantifique moelle de tout ça ?
- Comment vais-je rendre ça passionnant ?
- Comment vais-je amener le lecteur à s’y intéresser, par quel bout vais-je l’attraper et comment faire pour ne plus le lâcher ?
Bernard Werber
L’idéal serait de ne pas poser une seule ligne tant que vous n’avez pas répondu à ces premières questions. Mais on sait bien que, dans la pratique, on commence le plus souvent par écrire sans savoir où l’on va, et que le sens ne se dégage finalement qu’au fil du travail, souvent aux deux tiers du texte.
Il y a un million de façons de donner du sens. Peu importe celle que vous choisissez, pourvu que le boulot soit fait. Les pages Idées et fiction et Histoire et intrigue vous propose des méthodes. Ça serait super que vous soyez d’accord avec ce qu’elles disent. Ça serait encore mieux que vous ne soyez pas du tout d’accord. Ce qui compte, c’est de ne pas chercher à échapper à ces questions.
Ce que vous dites doit avoir du sens !
Si ça n’en a pas pour vous, ça n’en aura pas pour le lecteur.
La forme
Vladimir Dimitrjevic
Personnellement, j’aime beaucoup la forme efficace du polar et du thriller :
on chope le lecteur par ses parties intimes et on le maintient par là tout au
long du récit. Il se demande sans cesse si l’on va serrer ou caresser, et on se
garde bien de lever ce doute. Il en éprouve un mélange de plaisir et de peur,
basés sur ses instincts les plus primaires. Il y a une sorte de relation sadomasochiste
entre l’écrivain de thriller et le lecteur. Encore faut-il que l’écrivain soit
capable d’être un « maître » digne de ce nom, ce qui n’est pas donné
à – et n’est pas du goût de – tout le monde.
Quoi qu’il en soit, il est probablement bon de choisir une forme assez radicale
dont on est sûr de l’efficacité. James Bond nous promet de l’action et il nous
montre, dès le début de chaque film, qu’il entend honorer son engagement. Une fois
rassuré, le spectateur est prêt à accepter des scènes moins énergiques.
Proust nous attrape d’entrée de jeu par une tendre mélancolie « Longtemps,
je me suis couché de bonne heure… » On entend « bonheur » dans
cette « bonne heure » et on ne sait pas si l’on a raison. On entend aussi
un ton de confidence intime qui nous émeut. La sincérité, la beauté et la simplicité
de la langue qui suit (car la langue est simple, même si le style est complexe) font le reste.
La forme d’écriture du livre, c’est la forme de la relation que l’on souhaite créer
avec le lecteur. Le plus sûr consiste à vous inspirer de celle que vous pratiquez
avec le plus de réussite dans votre vie. Sera-t-elle basée sur l’humour ?
Sur vos capacités de séduction physiques ? Intellectuelles ? Serez-vous
dominant ou dominé ? C’est sans doute dans votre registre habituel que vous
serez le plus à l’aise. S’il y autour de vous des gens qui vous apprécient, demandez-vous
pourquoi, et exploitez la chose.
Et s’il n’y en a pas, c’est qu’il est temps d’explorer de nouveaux chemins.
Car après tout, une forme inexploitée de votre personnalité sommeille certainement
en vous. Le principal intérêt de votre démarche d’écrivain consiste peut-être
à découvrir quelle nouvelle forme de relation à l’autre vous pouvez construire.
La méthode
Bernard Werber
Il faut parvenir à être rigoureux sans devenir rigide. Si vous identifiez de l’ambition
ou de l’ego dans ce que vous faites, ne les combattez pas, car le combat amène
de la rigidité. Veillez simplement à les tenir à distance. Ils ne vous apporteront
rien et occuperont inutilement de la place. Votre
travail doit vous amener de la jouissance et rien d’autre. Cette jouissance
peut-être sensorielle ou intellectuelle, les deux formes sont bonnes et se complètent
à merveille. Il faut qu’elles figurent toutes les deux dans vos objectifs.
Quand vous aboutissez à un passage qui vous fait littéralement jouir en le relisant,
quelles que soient les parties de votre corps qui sont sollicitées pour produire
ce résultat, vous avez réussi. Vous pouvez être quasi-certain qu’il touchera ceux qui le liront. Restez-en
donc à ces objectifs : jouir et exulter. La dérision et l’humour sont
utiles pour détendre le corps et l’esprit. Mais ils ne sont qu’une préparation
à l’essentiel. N’oubliez pas l’essentiel : le plaisir, l’émotion.
Bernard Werber
« Pas de larmes ni de surprise chez l’écrivain ? Pas de larmes ni de surprise chez le lecteur ! »
Robert Frost
Essayez de ne pas mettre d’attente à long terme dans votre travail. Mettez de côté
tout ce qui concerne le devenir de vos écrits. Sans être totalement négligeable,
c’est très secondaire. Votre besoin de réussite doit se focaliser sur la qualité
de votre démarche, sur le plaisir que vous éprouvez à travailler, à décoder méticuleusement
les règles qui régissent un roman et à les appliquer (ou à les détourner) en vous
amusant. Votre ambition doit être de dépasser le « sympa » pour rechercher
l’extase. Ce que vous écrivez doit vous faire éclater de rire, pleurer à chaudes
larmes, dresser les cheveux sur la tête, chauffer votre cervelle et inonder vos
sous-vêtements. Si ça ne fonctionne pas pour vous, ça ne fonctionnera pas pour
le lecteur. Partez du principe que ce qui fait grimper votre échelle du plaisir
à un niveau 10 ne fera qu’agiter vaguement celle du lecteur, car il n’est pas
vous, il ne fonctionne pas comme vous et n’a pas vos références. Certains de vos
effets vont donc tomber à plat. Il vous faudra insuffler beaucoup de puissance
pour qu’il en ressente un peu.
Quand l’un de vos proches vous dit que vos écrits sont « intéressants »,
« (très) marrants » ou « sympa », ça veut dire que c’est complètement
raté. Le jour où il vous dira sincèrement que c’est « passionnant »,
« (très) émouvant » ou « extraordinaire », vous pourrez commencer
à vous dire que vous tenez le bon bout. S’il a lu votre écrit dans la nuit, sans
parvenir à s’arrêter, c’est également bon signe. Votre livre ne rencontrera un
nombre important de lecteurs que s’il est capable de ça. S’il n’y parvient pas
auprès de vos amis qui ont pourtant (en principe !) un énorme a priori favorable
en ce qui vous concerne, c’est définitivement raté.
L’intrigue de fiction (ou comment bien faire l’amour)
Stephen King
Croyez-le ou non, nous recevons tous les jours des manuscrits de « romans » qui ne sont pas dotés d’une intrigue identifiable. Mais peut-on alors parler de romans ?
L’intrigue n’est pas l’histoire. C’est la forme que l’on donne à l’histoire pour la rendre captivante, intrigante.
Elle doit être posée avant la page 10 de votre manuscrit. C’est encore mieux si on la perçoit dès la première page, de préférence dans la première ligne du premier paragraphe.
L’intrigue est une forme de contrat que vous passez avec le lecteur : voilà ce que j’ai à te proposer, est-ce que ça t’intéresse ? Le lecteur n’attendra pas plus de dix pages pour découvrir ce que vous avez à vendre.
L’intrigue instaure une tension. Une météorite géante qui menace la planète, un homme irrésistible croisé dans la rue, ou la vie qui paraît brutalement dépourvue de sens… peu importe : il faut faire appel au registre émotif du lecteur afin qu’il se sente concerné par le récit. Il faut le secouer violemment, que ce soit en l’inquiétant ou en lui promettant l’extase. L’intrigue antique est construite sur une confrontation avec les dieux. L’intrigue médiévale est construite sur une confrontation avec le pouvoir. L’intrigue Renaissance est construite sur une confrontation entre un fils et son père… bref, le conflit est un moyen éprouvé de créer une tension. Mais ce n’est pas le seul. À vous d’être créatif !
Billy Wilder
La structure de base d’une bonne intrigue est presque toujours la même :
- On interpelle le lecteur, on lui propose une angoisse, une énigme, une promesse,
- on complique l’affaire, on l’embrouille, on lui propose des fausses pistes, des rebondissements, on l’intrigue à nouveau par quelques questions supplémentaires, on répond à certaines tout en en laissant d’autres en suspens,
- puis on lui donne les solutions et on s’arrête là.
Au fond, il s’agit de suivre la même démarche que pour faire l’amour : on excite, on joue un peu pour faire monter la tension, on excite à nouveau, puis on libère en provoquant un orgasme dont l’intensité dépend directement de la tension que l’on aura réussi à provoquer, soit par l’excitation, soit par le jeu. La réussite de l’opération repose sur un équilibre extrêmement subtil entre la satisfaction et la frustration. Plus on est proche d’une réussite spectaculaire et plus le risque d’énerver et de décevoir est important. Si l’on vise un plaisir intense, il faut avoir de l’audace et être capable de prendre des risques. Mais l’on peut aussi faire ça tout tranquillement et donner une satisfaction moins intense, mais diablement réconfortante et parfois plus profonde.
Savoir s’intéresser à la fois à son propre plaisir et à celui de son partenaire est une condition primordiale pour réussir son affaire.
Je reviens à la construction de l’intrigue pour vous en proposer un schéma plus détaillé :
- La situation initiale : on pose le contexte, le décor et les personnages.
- Le conflit : on crée une tension en décrivant un conflit entre certains personnages, ou entre certains personnages et une organisation.
- Les complications : la situation initiale, qui était déjà problématique, se complique encore. Le conflit s’envenime.
- Le point culminant : on amène la situation au bord de l’explosion et la tension à son extrême.
- Le suspens : alors qu’on est au bord d’une catastrophe aussi terrifiante qu’imminente, on maintient le lecteur en suspens, on tergiverse, on envisage des solutions désespérées. Bref, on joue (au risque d’énerver).
- Le dénouement (la catharsis) : une solution inattendue vient résoudre la situation. Ou alors, la catastrophe attendue a lieu. Dans tous les cas, la tension retombe brutalement et se « dénoue ».
- La conclusion (optionnelle, souvent proposée sous la forme d’un épilogue) : on propose une sorte de morale à tout ce qui vient de se passer.
Voici les mêmes éléments (avec une variante finale) présentés sous la forme d’un schéma :
Le fait de suivre ce schéma ne garantit pas qu’une histoire sera captivante. Mais elle lui garantit une structure solide et offre un schéma directeur riche d’inspiration. Disons qu’il s’agit d’un terreau fertile sur lequel il ne reste qu’à planter et à faire pousser des graines.
Le fait de ne pas suivre ce schéma ne vous condamne pas à écrire un mauvais livre, mais à une recherche plus approfondie sur votre structure.
À lire également :
- Histoire et intrigue
En quoi l’intrigue se distingue-t-elle de l’histoire ? Et comment la construire ?
- 8 étapes essentielles pour construire une bonne intrigue de Marie-Adrienne Carrara
- 20
intrigues types et comment les construire
de Catherine Loiseau
Le versant sentimental de l’histoire
William Faulkner
Si vous analysez les dix plus grands best-sellers de cette année (en romans), mais aussi ceux des dix années précédentes, vous constaterez que les personnages ont des relations affectives extrêmement fortes entre eux (qu’il s’agisse de haine, d’amour ou d’amitié). Cette tendance s’est nettement renforcée dans les romans contemporains, même si elle était déjà très présente dans les plus grands classiques de la littérature.
Sans avoir forcément l’envie d’écrire un nouvel opus de la bibliothèque rose, il faut bien admettre que les sentiments occupent une place fondamentale dans notre vie quotidienne (souvent bien plus grande que nous ne sommes prêts à le reconnaître) et qu’ils guident la plus grande partie de nos actes et de nos pensées.
Lorsqu’un récit est trop rectiligne, quand les personnages s’y comportent comme des marionnettes, des robots qui s’agitent dans le seul but de faire avancer l’histoire ; si l’on ne ressent pas leurs émotions, leurs doutes, leurs peurs, leurs espoirs, leur libido et leur faiblesse humaine, ce récit ne reflète pas la réalité et s’avère souvent ennuyeux. La meilleure intrigue du monde ne saurait rattraper cette lacune.
Pour chacune de leurs pensées, pour chacun de leurs actes, demandez-vous toujours qu’est-ce qui pousse (vraiment) vos personnages.
Les deux erreurs les plus classiques consistent :
- à les faire agir uniquement parce que cela permet de faire avancer l’histoire,
- à les faire agir selon un schéma logique et cohérent, comme s’ils étaient capables d’orchestrer leurs actes en fonction de ce qu’ils veulent ou de ce qu’ils pensent. Mais qui, dans la vie réelle, agit de cette façon ?
Avant même de construire une intrigue et une histoire époustouflantes de complexité, il est intéressant de construire une trame sentimentale et émotionnelle qui servira de motivation réelle aux personnages. Les motivations qu’ils afficheront alors à travers leurs dialogues ressortiront pour ce qu’elles sont : des illusions qu’ils se donnent, pour tenter de se convaincre qu’ils sont des êtres raisonnables et réfléchis (ce qui n’est évidemment le cas de personne). Et le lecteur se régalera de constater leurs contradictions et leurs conflits intérieurs.
On peut voir cette trame sentimentale comme une histoire dans l’histoire. Elle peut suivre le même schéma que celui proposé dans le paragraphe L’intrigue de fiction. Et au-delà de cette trame invisible qui sera générale au groupe d’humains que l’histoire met en scène, ce travail doit s’appliquer à chaque personnage, à chacune des tranches de vie qui seront racontées. Les critiques diront alors du livre en question qu’il met en scène avec un réalisme confondant les destins entremêlés de ses personnages. N’est-ce pas tentant ?
Si vos lecteurs devinent qu’il y a, à travers votre livre, une sorte de partie de cache-cache entre le visible et l’invisible, qu’il y a un, ou des, messages obscurs à découvrir, dont le sens est aussi riche que celui de votre histoire elle-même, vous avez de solides chances d’en faire des amis inconditionnels et admiratifs.
Conclusion
Lisez et relisez les pages de conseils qui figurent sur notre site
. Tout n’est pas vrai, tout n’est pas juste dans ce qui y figure, mais les questions abordées sont issues d’une véritable expérience, et elles sont au centre de ce que représente le travail d’écriture. Dessinez ensuite votre propre ligne à partir de ce que vous êtes. N’hésitez pas non plus à commander des livres qui traitent des techniques d’écriture, par exemple :- Construire une histoire de Luc Deborde.
- L’art de la fiction de David Lodge.
- Le Travail de Romancier de Oackley Hall.
Mais ne cessez jamais d’écrire pendant que vous étudiez ces techniques. Ce qui est vrai pour les autres n’est peut-être pas vrai pour vous. Rien ne vaut l’expérience. Chacun d’entre nous est unique. Faites valoir ce que vous êtes, faites-le briller !
À découvrir :
Quelques conseils aux écrivains en herbe, par Bernard Werber
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