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Histoire, intrigue, espoirs et peurs

En quoi l'intrigue se distingue-t-elle de l'histoire ? Et comment la construire ?

Histoire et intrigue

S’il est exact qu’un « bon » roman sait solliciter l’intelligence du lecteur en lui donnant des idées à moudre, c’est d’abord sa capacité à émouvoir qui le distingue. Dans l’idéal, il parvient dès ses premières pages à « attraper » l’intérêt du lecteur grâce à une tension dramatique intense qui ne retombera que dans les dernières pages du récit, au moment de son dénouement.

C’est à l’intrigue que revient le rôle de créer cette tension dramatique. Et c’est précisément ce rôle qui distingue l’intrigue de l’histoire d’un récit.

L’histoire est une organisation chronologique et cohérente d’événements qui obéissent à la « loi de cause à effet ». C’est la partie logique du récit.

Voici une histoire qui va nous permettre d’illustrer notre réflexion :

Millie a de la sympathie pour le richissime Bob et le père de Millie décide de les marier. Mais voilà que Millie tombe amoureuse de John et refuse ce mariage. Son père s’était déjà engagé vis-à-vis de la famille de Bob. Il devient furieux et décide de tuer John.

Pour construire une intrigue digne de ce nom à partir de cette histoire, il va falloir organiser et « colorer » chaque événement du récit de façon à ce qu’il ait un impact émotionnel maximum. Entre autres choses, les profils psychologiques attribués à chaque personnage peuvent permettre d’atteindre cet objectif. Si John est un handicapé en fauteuil roulant, le crime du père de Millie n’en sera que plus horrible. Mais si c’est Bob, ou Millie elle-même, qui est en fauteuil roulant, l’histoire prend un tout autre sens. La façon dont le crime se décide et s’organise (est-il prémédité ou passionnel ?) est également cruciale du point de vue de l’intrigue, tout comme l’intensité de la relation qui se noue entre Millie et John, ou les sentiments que Bob porte à Millie.

On constate donc que, sur la base d’une même histoire, il est possible de construire de nombreuses intrigues.

« En tant qu’auteur, j’ai toujours considéré que la qualité de l’intrigue avait priorité sur toutes les autres facettes du talent de l’écrivain. La psychologie, le thème, le style, tout cela devient secondaire si l’intrigue est ennuyeuse. Et, si le récit vous tient en haleine, vous serez disposé à toutes les indulgences. »

Stephen King

L’intrigue s’intéresse aux motivations profondes et aux émotions des personnages. C’est la partie irrationnelle (mais réaliste !) du récit.

Les besoins de l’intrigue amènent fréquemment l’auteur à bouleverser la chronologie du récit afin d’instaurer une tension dramatique dès les premières pages. Il pourra ainsi choisir de raconter la préparation du meurtre de John au premier chapitre, puis de revenir sur les raisons qui ont conduit le père de Millie à cette extrémité. Une « ficelle » de ce genre offre un double intérêt puisqu’elle entraîne le lecteur dans un exercice intellectuel (reconstituer la véritable chronologie) tout en le plongeant directement dans une action capable de susciter des émotions puissantes.

Pour construire une intrigue à partir d’une histoire, le travail de l’auteur consiste entre autres choses à :

L’histoire se moque le plus souvent des motivations profondes des personnages, car elles sont généralement superflues pour décrire la suite logique des événements d’un récit. À l’inverse, l’intrigue est presque essentiellement construite sur ces motivations, parce que ce sont elles qui vont jouer sur l’empathie du lecteur et susciter des émotions chez lui. L’histoire nous raconte ce qui s’est passé. L’intrigue nous explique pourquoi. Elle donne un sens à ce qui est raconté.

La logique de l’irrationnel

« Il faut réfléchir et méditer sans cesse sur une seule question : pourquoi l’homme fait-il ce qu’il fait ? Si vous avez cette faculté, alors je ne pense pas que le fait d’avoir du talent ou non fasse la moindre différence. »

William Faulkner

Même un personnage ayant entièrement sombré dans la folie n’agira pas « n’importe comment ».

Bien qu’ils soient le plus souvent irrationnels, les êtres humains sont toujours relativement cohérents, et les personnages d’un roman doivent respecter cette ambiguïté pour être crédibles.

Il revient donc à l’auteur d’organiser soigneusement les névroses de ses personnages, afin qu’elles motivent leurs actions tout en conservant une certaine forme de logique. En d’autres termes, il s’agit d’inventer une « logique de l’irrationnel », il s’agit de construire un pont stable et solide entre la raison et la folie.

Pour être solide, ce pont doit s’appuyer sur des pulsions primitives indomptées, car ce sont les seules qui peuvent motiver les actes extraordinaires dont un roman a souvent besoin. L’auteur s’intéressera donc aux pulsions qui naissent dans le cerveau reptilien de ses personnages : faim, soif, désir sexuel, peurs et espoirs de toutes natures.

Les peurs et les espoirs sont particulièrement intéressants, parce qu’ils sont partiellement intellectualisés par la plupart des gens. Ils forment un pont naturel entre la raison et les pulsions instinctives. Les peurs et les espoirs sont souvent infondés, se manifestent sans prévenir et provoquent des réactions inattendues. Ils représentent un moteur crédible pour l’amour et la haine, l’attaque et la fuite, le sacrifice et le meurtre.

Même un personnage de tempérament calme devient capable de commettre un meurtre, s’il est entraîné dans l’angoisse, puis dans une peur panique, en raison d’une phobie. Et à l’inverse, un personnage particulièrement cynique et égocentrique pourra accomplir un geste altruiste si l’on réveille son espoir d’un monde meilleur.

À condition de les mettre en scène en faisant preuve d’un minimum d’imagination, la peur et l’espoir permettent de motiver n’importe quel comportement de façon crédible.

Histoire et intrigue : une cohabitation parfois difficile

« Il existe deux types d’écrivains : les architectes et les jardiniers. Les premiers planifient leur ouvrage de A à Z avant d’en rédiger une seule ligne, tandis que les seconds se contentent de semer quelques graines. »

George R.R. Martin

Faut-il établir l’histoire en premier, afin d’en tirer une intrigue ? Ou partir d’une intrigue, d’une situation émotionnellement forte, et tenter ensuite de lui adjoindre une histoire logique ? Chacune de ces deux approches comporte son lot de difficultés.

L’intrigue avant tout

Il est parfaitement possible de construire un récit sans en connaître l’histoire par avance. Les auteurs qui déclarent procéder de cette façon sont nombreux. La méthode consiste à définir des personnages avec précision, puis à imaginer leurs réactions dans une situation donnée. L’histoire se construit alors « d’elle-même » au gré des caprices et des besoins qu’exprimeront les personnages.

Cette méthode permet d’aboutir à une intrigue parfaitement « naturelle », puisqu’elle n’est assujettie à aucune trame préalable. Mais elle peut poser des problèmes délicats en ce qui concerne la cohérence, le rythme et l’équilibre du récit, ainsi que dans la progression de la tension dramatique. Pour que ce système fonctionne, l’auteur doit parvenir à synthétiser des personnages particulièrement riches, solides et cohérents, qui garderont leurs caps d’un bout à l’autre du récit. Et lorsqu’il y parvient, il court le risque de se retrouver « prisonnier » de leurs caprices et de ne plus parvenir à faire avancer l’histoire comme il le souhaiterait.

Si l’un de vos personnages refuse d’aller dans la direction que vous souhaitez, demandez-vous « De quoi a-t-il peur ? Quelle est la peur encore plus puissante qui pourrait l’obliger à avancer ? Que puis-je lui faire miroiter pour le motiver ? »
 

L’histoire avant tout

Il est intéressant de constater que les auteurs qui commencent par structurer l’histoire avant de lui adjoindre une intrigue, sont généralement ceux qui signent des œuvres dites « populaires », telles que les romans policiers, les récits fantastiques ou de science-fiction, et les romans d’aventures.

La construction d’un récit à partir d’une histoire parfaitement élaborée présente de nombreux avantages : on pourra y développer des idées plus complexes, on peut s’assurer de son rythme et de son équilibre avant de poser le moindre mot, et on a tout loisir de mettre en place une montée progressive de la tension dramatique que l’on pourra organiser de façon réfléchie.

La principale difficulté qui reste ensuite à résoudre consiste à créer des personnages capables de « jouer » les rôles qui leur sont dévolus, d’une façon qui soit crédible pour le lecteur. Pour reprendre la trame de l’histoire citée plus haut en exemple, le père de Millie pose un problème délicat. Comment en vient-il à désirer la mort de John ? Pourquoi prendre le risque de devenir un meurtrier ? Il serait évidemment plus simple et plus logique de se résigner devant la décision de Millie. Pourquoi ne le fait-il pas ? Pourquoi agit-il de façon illogique ?

Lorsqu’on accorde peu d’importance à l’histoire, on se résout facilement à la « tordre » pour éviter les écueils de ce genre, et l’on décidera qu’en fin de compte, le père de Millie ne va pas tuer John, mais qu’il se contentera de ruiner sa réputation pour que Millie s’en détourne.

Mais lorsqu’on a investi des efforts importants sur l’histoire, dans le cadre d’un récit de science-fiction, par exemple, on se refuse à la modifier pour les besoins de l’intrigue, et c’est cette dernière qui se retrouve le plus souvent « tordue » au risque de devenir inefficace. Les motivations des personnages restent incompréhensibles ou manquent de réalisme. On dit alors qu’ils se comportent comme des marionnettes dont le seul objectif visible est de faire avancer l’histoire (l’idée) qui a motivé l’écriture du récit.

Si vous peinez à expliquer pourquoi un personnage s’est lancé dans une action particulière, demandez-vous quelle est la peur ou l’espoir qui pourrait justifier son geste. Plus le geste est extravagant, plus la peur ou l’espoir qui l’a motivé doit être puissant.
 

Intrigue et MacGuffin

Le nom du « MacGuffin » est une création d’Alfred Hitchcock, mais le concept qu’il désigne est sans doute aussi ancien que la littérature.

Le MacGuffin est un prétexte à la mise en place et au développement de l’intrigue principale. Le plus souvent, il s’agit d’un objet (un document volé, un trésor à trouver), mais il peut également s’agir d’un secret à protéger ou même d’un désir puissant.

En soi, le MacGuffin n’a aucun intérêt pour le lecteur. S’il joue un rôle important, c’est parce qu’il représente une motivation irrésistible pour un ou plusieurs personnages du récit. C’est en quelque sorte l’élément qui cristallise et symbolise le désir. Parviendra-t-on à retrouver le MacGuffin ? C’est la question qui va entretenir le suspens, soutenir la tension dramatique de l’intrigue.

Ajoutons que dans le cas d’un récit à double intrigue (configuration typique du roman à suspens), la recherche du MacGuffin alimente l’intrigue apparente, tandis qu’un conflit intérieur se déroulant dans l’esprit du héros alimente l’intrigue sous-jacente.

Alfred Hitchcock avait coutume de se moquer de la crédibilité du MacGuffin et d’ironiser à ce sujet, compte tenu du peu d’importance que cet aspect du récit représente pour le spectateur (ou le lecteur). En contrepartie, il apportait une attention toute particulière à la crédibilité des conflits intérieurs qui agitent les personnages de ses films.

La tension dramatique

La peur et l’espoir, ne se contentent pas de résoudre le problème crucial de la motivation des personnages, ils offrent également une réponse efficace à une autre question d’envergure : comment faire « monter la pression » au fur et à mesure de l’avancée de l’intrigue, comment atteindre ce fameux point culminant qui doit précéder le dénouement.

Schéma de construction d'une intrigue

Cette fois-ci, l’astuce consiste à jouer avec les peurs et les espoirs du lecteur lui-même.

« Utilisez la carotte et le bâton : votre héros est poursuivi par une obsession ou par le méchant et il poursuit lui-même un idéal, une personne, une réponse. »

Mickael Moorcock

La peur : après avoir rendu certains personnages sympathiques, on les met en danger. Ou bien on imagine une situation (une météorite géante, ou un virus mortel) qui met l’ensemble de la planète en danger. Le lecteur voudra que cette crise trouve une issue et son attention sera maintenue par cette attente. En aggravant la situation par diverses catastrophes, on amplifie la peur du lecteur, on amplifie la tension dramatique.

L’espoir : c’est David contre Goliath. On laisse espérer au lecteur que la cause du gentil va l’emporter sur celle du méchant (qui est pourtant bien plus puissant), ou bien qu’un homme ou un petit groupe isolé pourra changer le monde pour le rendre meilleur. En compliquant la trajectoire du ou des héros, on augmente la tension dramatique.

Une combinaison de peur et d’espoir : c’est le cas de figure le plus fréquent. Luke Skywalker rêve de devenir Jedi, mais Dark Vador cherche à le faire sombrer du côté obscur. Luke devient de plus en plus puissant (l’espoir augmente). Dark Vador se fait de plus en plus vicieux (la peur augmente).

 

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