Ce texte est extrait du site www.editions-humanis.com

La fiabilité du narrateur

Certains auteurs commettent l’erreur de truffer le récit d’incohérences. D’autres jouent volontairement avec la fiabilité de leur récit. À vous de choisir !

Qu’il soit écrit à la première ou à la troisième personne, votre roman ne pourra échapper à la création d’un narrateur, puisqu’il faut bien que l’histoire soit racontée par quelqu’un.

L’usage courant pose ce quelqu’un comme un narrateur fiable, une entité à laquelle le lecteur pourra accorder toute sa confiance, ce qui est essentiel pour qu’il puisse croire à l’histoire (ou faire mine d’y croire).

Certains auteurs commettent l’erreur de truffer le récit d’incohérences. D’autres jouent volontairement avec la fiabilité de leur récit. À vous de choisir !

Le narrateur est fiable

Tout auteur de roman a besoin de passer un contrat tacite avec son lecteur, un contrat qui peut se résumer à : Je vais te proposer une histoire formidable. Fais-moi confiance et tu ne seras pas déçu. En première approche, il semble donc indispensable que le narrateur soit fiable, pour que la confiance du lecteur ne soit pas trahie.

Pour une grande part, la fiabilité du narrateur repose sur la cohérence des situations et des personnages. S’il le héros aime le sexe à la page 10, il ne peut pas raisonner comme un moine à la page 50. Si l’arme du crime est un couteau à la page 20, elle ne doit pas se transformer en revolver à la page 100. Cela n’empêche pas les personnages d’évoluer, de changer de point de vue et de douter. Mais ils doivent le faire en respectant scrupuleusement la « logique » des sentiments humains. L’exposition des raisons qui les amènent à évoluer est d’ailleurs souvent l’une des parties les plus intéressantes de l’intrigue.

Mais ça n’interdit pas de jouer avec le feu !

Le narrateur n’est pas fiable

Voici ce que dit Inma à au sujet du narrateur peu fiable :

À l’opposé du narrateur omniscient, cette figure littéraire désigne un narrateur dont la crédibilité est mise en doute, qui se contredit facilement, qui manque sérieusement son objectif. C’est un artifice rhétorique très intéressant pour introduire le suspense dans le récit. Son origine est incertaine. Il apparaît parfois dans les contes arabes et indiens, comme l’illustrent les Mille et une Nuits, mais aussi dans les contes de Hoffmann, les nouvelles d’E.A. Poe, de Barbey d’Aurevilly ou de Henry James . (…) Plus la distance est grande entre la perception du monde et les valeurs véhiculées par le personnage et celles du lecteur, moins le narrateur semblera sûr. Cependant, le narrateur peu fiable peut également devenir une source d’identification avec le lecteur, en éveillant la sympathie de celui-ci par l’exposition naïve d’imperfections et de failles.

Le premier grand succès d’Agatha Christie, en 1926, repose sur ce procédé. Le Meurtre de Roger Ackroyd, est une enquête d’Hercule Poirot racontée par le Docteur Sheppard. À la fin de l’enquête, on découvre que c’est le narrateur, Sheppard lui-même qui est le meurtrier.

La technique du narrateur peu fiable est particulièrement délicate à mettre en œuvre. Pour l’auteur qui en use avec talent, le chef-d’œuvre est presque assuré. Mais pour celui qui se montre maladroit, c’est le massacre garanti.

Cela n’a pas empêché quelques poncifs de pousser sur ce sol, aussi bien dans la littérature que dans le cinéma :

Tout ça n’était qu’un rêve

Après nous avoir entraînés dans un récit qui devient de plus en plus tiré par les cheveux, l’auteur conclut son récit par : Alors, il s’éveilla et constata qu’il venait de rêver ! Cela revient à dire au lecteur qu’on s’est moqué de lui. Ça pourrait sans doute être amusant si l’astuce n’avait pas déjà été utilisée un million de fois. Certains auteurs de science-fiction ont tenté de rafraîchir l’idée en concluant leur récit par Alors, il constata qu’il était dans une réalité virtuelle. Bof.

Suis-je devenu fou ?

Le narrateur exprime des doutes vis-à-vis de sa propre santé mentale. Ou bien l’on amène le lecteur à en douter, même si le narrateur est convaincu d’être sain d’esprit. Lovecraft a construit de nombreuses et délicieuses nouvelles par ces procédés qui ont également inspiré plusieurs chefs-d’œuvre à Phillip K. Dick. L’ennui, c’est que ces deux auteurs ont essoré l’idée. Le défi consiste à faire aussi bien qu’eux.

En 2010, le film Shutter Island (avec Leonardo Di Caprio) a exploité cette idée dans une histoire à chute : on ne découvre la folie du narrateur qu’à la toute fin de l’histoire. Mais est-il vraiment fou ? La conclusion reste ouverte et c’est ce qui fait l’intérêt de cette histoire assez banale par ailleurs.

Je vous ai bien eu !

Ça n’est pas vraiment un poncif, mais une démonstration magistrale de l’utilisation du concept de narrateur peu fiable à laquelle s’est livré Christopher McQuarrie dans le scénario du film Usual Suspects (1995). Toute l’histoire est racontée du point de vue d’un témoin interrogé dans un poste de police. À la fin du film, on constate que ce témoin n’est pas ce qu’il prétend être, et que l’histoire qu’il vient de raconter est pour le moins douteuse. Ce témoin pourrait bien être le Keyser Söze dont il prétend avoir été la victime innocente.

L’idée brillante de Christopher McQuarrie consiste à rendre les policiers victimes du stratagème du témoin, en même temps que le spectateur. Ainsi, la frustration que le spectateur peut ressentir quand il constate qu’il s’est fait berner est atténuée par le fait qu’il n’est pas seul dans ce cas.



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